Perspectives en matière d'interopérabilité logicielle

L'interopérabilité peut être définie comme « l'aptitude d'organisations disparates et diverses à interagir en vue de la réalisation d'objectifs communs, mutuellement avantageux, arrêtés d'un commun accord, impliquant le partage d'informations et de connaissances entre ces organisations à travers les processus métiers qu'elles prennent en charge, grâce à l'échange de données entre leurs systèmes de TIC respectifs1 ». L'interopérabilité doit en effet, pour être efficace et complète, permettre l'accès aux informations nécessaires à la communication, ainsi que les droits nécessaires à l'implémentation de ce fonctionnement au sein de sa propre technologie. Elle ouvre la voie à la création de produits ou offres complémentaires (interopérabilité verticale) ou concurrents (interopérabilité horizontale).

Dans le cadre d'une étude commandée par la Commission européenne qui se terminera cet été, Philippe Laurent (MVVP) et Benjamin Jean (inno³) ont été missionnés afin de produire une série de licences formalisant les termes associés à l'interopérabilité des technologies au travers des diverses interfaces logicielles (APIs, Protocoles et Format) utilisées. Ce travail s'inscrit dans le cadre de l'Agenda numérique européen, mis en place pour permettre aux acteurs économiques et sociaux de tirer le maximum de profit de la révolution numérique et des technologies qu'elle induit. La réalisation de cet Agenda, véritable « pilier numérique » du Programme « Europe 2020 », implique notamment l'accès pour tous à l'internet à haut et très haut débit et l'interopérabilité des applications2. En l'absence de standards, l'importance de l'interopérabilité est mise en exergue en tant qu'action constitutive du second pilier pour conduire les acteurs du marché, quelle que soit leur taille, à rendre accessibles matériellement et juridiquement3 les informations d’interopérabilité relatives à leurs technologies.

La mission menée a pour objectif d'apporter une nouvelle perspective par la mise à disposition d'un modèle non contraignant de contrat réutilisable, à destination des créateurs de services et produits innovants qui ont besoin d'un marché ouvert et sécurisé pour se développer. L'intérêt de cette action repose sur l'établissement de documents harmonisés favorisant la généralisation d'usages et de bonnes pratiques en matière interopérabilité afin d'aboutir à un réseau de confiance et transparence, sur un plan technique et juridique. Cela permettra dès lors de générer des économies (notamment en termes de coût de négociation), de rendre possibles des services plus efficaces et de bénéficier d'une meilleure sécurité juridique.

L'actualité juridique récente semble encore accentuer l'urgence de la mise en place d’outils juridiques permettant d'afficher une posture favorable à l'interopérabilité, de spécifier cette dernière et d'assurer une sécurité juridique quant aux droits que détiendrait l'éditeur des technologies concernées.

En effet, deux décisions risquent de bouleverser les pratiques des acteurs du numérique en matière d'interopérabilité. C'est d'abord la Cour de Justice de l'Union européenne qui dans le cadre d'une question préjudicielle en interprétation relative à l'affaire Institute v. world programming Ltd4, a rendu le 2 mai 2012 un arrêt admettant la protection des formats de fichiers et des langages de programmation au titre du droit d'auteur général (en tant qu’œuvre non logicielle) dès lors qu'il présente un certain degré d'originalité. C'est ensuite la décision récente rendue en appel de l'affaire opposant Oracle et Google sur l'utilisation des API de JavaScript par Google, venant – parmi d'autres conclusions critiquables – étendre le champ de protection du copyright aux interfaces de programmation (APIs) en ce que la « structure, la séquence et l'organisation » de ces APIs pouvaient faire l'objet d'appropriation.

Ces deux décisions remettent en cause le bénéfice de l'exception d'interopérabilité (spécifique au droit d'auteur logiciel) et donc l'équilibre entre protection des intérêts de l'inventeur et de ceux de la société (et donc du consommateur). En admettant la privatisation de ces éléments de programmes et leur protection en tant « qu’œuvre non logicielle », les juridictions américaines et européennes prennent le risque de freiner l’interopérabilité pourtant indispensable au dynamisme du secteur, et donc in fine de ralentir la marche de l'innovation. Cet effet bloquant pourrait être extrêmement préjudiciable en ce qu'il permettrait en outre à des acteurs souvent déjà en position dominante de s'approprier des marchés secondaires (ou a minima d'empêcher l'émergence de nouvelles offres au sein de ces marchés secondaires). Il est donc indispensable d'assurer aux acteurs de l'économie numérique un cadre sécurisé et de les doter des outils pertinents pour que l'interopérabilité soit garantie par principe, non seulement car ils y va de leurs intérêts (que ce soit les sociétés éditrices comme les sociétés utilisatrices) mais aussi et surtout pour empêcher que la reconnaissance d'un droit de propriété intellectuelle soit le prétexte à l'extension de monopoles déjà trop défavorable à l'interopérabilité.

1Décisions adoptées conjointement par le parlement européen et par le conseil décision n°922/2009/ce du parlement européen et du conseil du 16 septembre 2009 concernant des solutions d’interopérabilité pour les administrations publiques européennes (ISA)

2Voir notamment http://ec.europa.eu/digital-agenda/ et la note 2236 de mai 2011 du Centre Centre d’analyse stratégique sur « L’Agenda numérique européen » www.strategie.gouv.fr/system/files/3c91185dd01_0.pdf

3Au travers de licences spécifiques relatives aux droits de propriété intellectuelle ou à la confidentialité des informations communiquées

4Question préjudicielle, sur l'interprétation des articles 1er paragraphe 2, et 5, paragraphe 3, de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateurs

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